
Ce premier texte est né d’un moment de bascule : celui où corps et esprit lâchent à la frontière du burnout, où l’âme glisse entre veille et abandon.
Dans la pénombre tranquille de l’été, où je dépose ma profonde fatigue et où les mains guérisseuses de la masseuse parcourent patiemment mes méridiens endoloris, elle murmure : « De la discipline, il faut de la discipline… »
Je sursaute. Pourquoi cette réflexion sortie de nulle part, au moment même où mon corps lâche prise ? Un frisson parcourt ma peau.
La discipline, pour moi, est symbole de sévérité, de carcan, de joug, de sueur — celle d’un esclave contraint à s’aliéner. Elle tue ma créativité, me contraint à m’enfouir dans la caverne sombre de l’attente indéfinie. Elle crée un poids énorme sur mes épaules, au moment même où je cherche à me redresser.
Tant d’années à devoir suivre les règles, à souffrir, à me renier, à retenir mon cri de désespoir et l’envie de briser ces chaînes lourdes — chaînes taillées par la sueur et le silence.
Rebelle, je refuse — dans un acte presque suicidaire — laissant aux monstrueuses meutes disciplinées l’alibi et les armes pour m’abattre.
Et pourtant, je sais, tel un valeureux et mythique héros, que je dois dépasser mes peurs pour affronter le monstre, le tuer dans sa monstruosité, en manduquer la force, le territoire et le pouvoir*.
Dans une communion hautement rituelle, je rends hommage, je bénis et j’intègre une nature dans laquelle je me dissous.
Nature, me revoilà présente devant toi. Reprends-moi en ton sein, chère Mère, reprends-moi au commencement, au Tout — où tout redevient possible, où je ne suis ni moi, ni l’autre, où je sais, où je vois l’ordre de la nature, la discipline spontanée où chaque geste crée la symphonie merveilleuse de la vie.
Apprends-moi, chère Mère, les arpèges de ta musique incroyablement créative et ordonnée ; fonds-moi dans cet orchestre merveilleux, en perpétuelle création de l’hymne à la vie.
Fais-moi renaître, à ma manière, de mon Chaos fécond…
* Note sur « manduquer »:
Dans un registre mystique ou théologique, « manduquer » évoque un acte d’intégration profonde par le corps, notamment dans le rituel de la communion.
Dans un registre poétique ou littéraire, il peut prendre une coloration charnelle, instinctive, archaïque, voire sacrée ou sauvage.
C’est un mot puissant, rugueux, presque corporel dans sa sonorité, qui évoque autant l’animalité que le mystique.
